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mercredi 14 août 2024

Enseignement et formation

Être formateur... c’est quoi

Une pratique de l’échange et de l’écoute

Être formateur n'est pas qu'une transmission de connaissance, c'est avant tout une écoute du besoin, une analyse des capacités et des connaissances déjà acquises et une mise à disposition de tout ce que l'on sait, parfois même de choses qui n'ont rien à voir avec le sujet enseigné.

Je crois que l’on peut distinguer trois choses dans la formation :

  • L’enseignement
  • La formation professionnelle
  • Le rattachement de la matière enseignée au reste du savoir

L’enseignement

L’enseignement d’une matière, d’une pratique, d’un métier n’est pas nécessairement à titre professionnel. On peut vouloir apprendre une technique, un métier, une matière, non pas pour la pratiquer de façon professionnelle, mais simplement pour le plaisir, pour le loisir, voire pour une utilité passagère ou pour enrichir ses connaissances. Mais, quelle que soit la raison pour laquelle on veut apprendre quelque chose, il est toujours nécessaire de prendre cette démarche au sérieux.

Lorsque j’enseignais le dessin et la peinture au centre d’animation de Cognac, certain·es de mes élèves avaient une réelle ambition professionnelle, même s’iels étaient toujours au lycée voire au collège. D’autres venaient là pour le loisir, et d’autres simplement parce que leurs parents les y avaient inscrit·es.

La grande difficulté n’était pas de transmettre, tout du moins d’essayer de transmettre mes connaissances, mes pratiques, mais d’intéresser chacun·e des élèves, de tenter de leur apporter quelque chose d’enrichissant pour iels, que ce fût au niveau du dessin ou de la peinture, ou sur iels même : de la confiance et globalement l’envie de vivre et de s’intéresser au monde qui les entoure. Un enseignement est, pour moi, nécessairement global. Un enseignement que l’on ne peut rattacher à sa vie sera limité, incomplet, et parfois même, n’aboutira à rien.

Comment faire ? Je crois que la première chose est d’appréhender chaque élève, non pas comme un élève, mais comme une personne. Ne pas se prendre pour supérieur, sous prétexte que l’on est en position d’enseignant. J’ai autant appris de mes élèves que je leur ai transmis de connaissances et de savoir-faire. L’enseignement est un échange, sans lui, si le dialogue n’est qu’unilatéral, si l’élève ne peut transmettre son désir, son attente, son contentement et son mécontentement, il n’intègrera pas les connaissances ou pratiques que l’on essaie de lui transmettre. En cela, la première mission d’un enseignement est l’écoute.

Enfin, je crois qu’une des plus grandes erreurs de l’enseignement est de vouloir avoir des résultats. Avoir des résultats entraîne un classement et donc une rivalité, des déceptions et de la prétention. Le but d’un enseignement n’est pas que l’élève produise, mais qu’il s’enrichisse.

Formation professionnelle

Contrairement à l’enseignement, la formation professionnelle nécessite un résultat, ce qui est un obstacle lorsqu’on se trouve devant un public captif, ou simplement devant des gens qui « n’y arrivent pas » [1]. Cette nécessité de résultat met le formateur devant une problématique délicate. Comment intéresser ou faire comprendre quelque chose qui échappe. C’est un problème qui m’a, notamment été posé pour faire faire du « web » à des personnes issues du « print »… que cela n’intéressait pas du tout.

Cette nécessité de résultat est, comme je le disais précédemment, un frein à l’enseignement. La réponse que j’ai trouvée est alors de transformer cette formation, en enseignement au sens où je l’entendais un peu plus haut. Faire de cette nécessité de résultat… un divertissement, un jeu, une énigme. Axer sur de la culture.

C’est totalement différent lorsque l’on a à faire à des personnes motivées. Dans ce cas, la formation doit s’appuyer sur « les nécessités de production ». Selon ce que l’apprenant·e devra accomplir, l’approche est différente, c’est pour cela, que je pense sincèrement, qu’aucune formation ne doit ressembler à une autre. Le ou la formatrice est dans l’improvisation. Au début, lorsque je faisais de la formation professionnelle en entreprise sur des groupes allant de 1 à 5, j’arrivais avec mon petit programme ; j’ai vite compris que cela n’était pas possible. Bien sûr, le programme me facilitait la tâche, mais pas celle de l’apprenant·e. Or, c’est sa facilité à lui, à elle, qu’il est nécessaire de favoriser.

Tout comme dans un enseignement non professionnel, c’est encore l’écoute qui est nécessaire et la valorisation de l’élève et de ses travaux. « Tout est faux » n’est pas grave, nous sommes tous passés par là. L’erreur n’est pas négative, elle est facteur d’enseignement, de progrès. Une réussite immédiate est même dangereuse, elle peut engendrer un orgueil, un quelque chose ayant rapport avec la suffisance, qui fait de l’apprenant·e (ou de l’élève) quelqu’un d’inattentif à son travail, à ce qui lui est demandé, à la façon qu’il ou elle va avoir d’y répondre. De façon générale, un « bon travailleur » est quelqu’un d’humble face à son travail. Le dessin m’a appris que la réussite est souvent liée à une chance, à un moment de grâce qui peut-être ne se reproduira pas !

Le rattachement de la matière enseignée au reste du savoir

C’est en cela qu’il est nécessaire de rattacher tout enseignement au reste de ce que l’on vit. Tout est assujetti à l’humilité. Il existe toujours quelqu’un de meilleur, de plus performant, de plus utile peut-être même ! Un enseignement détaché « du vivant », de l’existence, sera voué à l’échec en ce qui prévaut est l’enrichissement de la vie intérieure, de la personne, et non de son potentiel de production.

Chaque chose apprise doit être liée au reste de la connaissance afin de l’enrichir et de s’enrichir elle-même. C’est le seul moyen de donner de l’application. Lorsque j’ai appris à ficeler des paquets en presse, j’ai appris quelque chose d’autre : chaque tâche que l’on doit accomplir doit l’être le mieux possible, et ce, pour deux raisons. La première est l’ennui qui nait dans la non-implication, la seconde, sa propre satisfaction et son enrichissement. Mal tenir la ficelle, brûle les doigts. Se rendre compte de cela n’est pas simplement le moyen de ne pas avoir mal, c’est se rendre compte de forces physiques comme les forces de frottement, de la fragilité du corps humain, c’est aussi faciliter le travail de l’autre, de celui qui manipulera les paquets après en lui faisant un paquet qui tient.

Je suis intiment persuadé que si l’on veut apprendre à dessiner, il faut d’abord apprendre à regarder, et qu’apprendre à regarder c’est s’ouvrir au monde et en cela se construire au-delà de simplement apprendre à dessiner. Lorsque l’on veut apprendre à créer un site web, il est nécessaire de se mettre à la place de l’internaute qui l’utilisera. Ce n’est pas qu’un problème technique, c’est aussi un problème d’empathie, de compréhension d’autrui. Si l’on veut apprendre la musique, il est nécessaire d’apprendre à écouter, écouter celui avec lequel on joue, écouter ce qui se passe et s’ouvrir au respect du discours d’autrui comme à celui du silence. Et si on veut apprendre les mathématiques, il est nécessaire d’apprendre à oublier.

Conclusion

Je crois que l’enseignement doit être un acte gratuit, il faut, en tant qu’enseignant (ou formateur) ne rien attendre en retour, et, plus encore que cela, ne rien garder pour soi. J’ai vu bon nombre de formateurs se réserver une partie de leur savoir pour garder une supériorité face à leurs élèves. Outre la mesquinerie liée à cela, c’est un frein à sa propre évolution.

Il est aussi nécessaire de reconnaître ses limites. Il m’est arrivé régulièrement d’avoir à répondre à des questions auxquelles je n’avais pas la réponse. Il faut le reconnaître et chercher, pour le cours suivant, une réponse. C’est en cela qu’enseigner permet de progresser, c’est en cela que le rapport à l’élève devient honnête, condition sine qua non du respect réciproque et donc de la réussite de l’échange entre l’élève et l’enseignant.

L’enseignement est ce qui permet à l’information de ne pas se perdre. Chaque personne peut enseigner quelque chose, car chaque personne possède une expérience unique. Cela induit deux choses, la première est ce que je viens de dire, chaque personne a quelque chose à enseigner, la seconde est que chaque enseignement est particulier même s’il vise l’universel, qu’il peut, ou peut ne pas répondre à l’attente de l’élève, et qu’à aucun moment l’enseignant ne doit croire que c’est l’élève qui est mauvais : c’est toujours lui qui ne sait pas s’y adapter.

Lorsque l’on me demande de résumer mon approche, je réponds souvent que j’essaie de prendre en compte ce qu’apprenant·e sait, veut, peut et doit faire par une écoute sincère de l’autre.


Voir en ligne : Voir l’article sur l’introduction à l’acte créatif, proposé sur ma page de peintre


[1Souvent lié à un problème, mauvaise définition ou non application, des prérequis.